Lifeboat

mercredi 31 mars 2010

Alfred Hitchcock, 1944

Je crois que c'est le premier Hitchcock que je découvre sur grand écran.

Ce film est un huis-clos : nous suivons la vie et la survie de 8 rescapés d'une attaque de U-Boot. Evidemment, on jubile dans un premier temps face à cette gageure cinématographique : le film ne sort jamais des quelques m2 du canot et n'est constitué que de gros plans ou plans moyens. Mais, comme toujours chez Hitchcock, la prouesse technique n'est pas une fin en soi et se met toujours au service d'un propos.

Ici, Hitchcock nous propose une description psychologique de simples humains face à un événement dont l'ampleur et les enjeux les dépassent : la 2e guerre mondiale. Nos 8 personnages, bien qu'a priori assez typés, évolueront sous nos yeux et gagneront tous en profondeur, en un mot s'humaniseront.

"Plus le méchant est réussi, meilleur est le film" est un vieux théorème formulé par Hitchcock lui-même (et dont Inglourious Basterds est à mes yeux le seul contre-exemple). Dans Lifeboat, cet adage est complètement validé. Le personnage de Willi, le seul allemand à bord, est fascinant et, de scène en scène, il provoque chez le spectateur des réactions contradictoires mais toujours fortes. Là on s'apitoie sur son sort, ici on se méfie, là on souhaite qu'il soit enfin écouté, juste après on découvre sa duplicité et on finit presque par s'identifier à cette meute qui le lynche dans une scène stupéfiante de sauvagerie. Tous les acteurs sont bons mais je retiens également l'interprétation ultra-convaincante de Tallulah Bankhead (dont je vous conseille de lire l'étonnante biographie), en journaliste sophistiquée revenue de tout.

Les personnages de ce Koh-Lanta sur un canot (de gauche à droite) : l'allemand, le redneck, la journaliste, le riche, l'ouvrier, la folle, l'infirmière, le Noir, le marin

Bref, au fur et à mesure que le film avance, on finit par oublier complètement l'artifice de mise en scène, on se passionne pour ces naufragés, on change dix fois d'avis sur eux, on se rend compte que chacun d'eux déborde de la boîte dans laquelle on l'avait rangé au début, on se délecte de ces dialogues, on tombe un peu amoureux de l'infirmière et on ne peut qu'applaudir lorsque le carton The End arrive, de manière forcément trop abrupte. Du grand art.

Superbad

mardi 30 mars 2010

Supergrave
Greg Mottola, 2007


Après Les Rois du Patin et Retour à la Fac, qui m'ont tant amusé, et malgré Zoolander, qui m'a pour le moins ennuyé, je continue mon rattrapage de toutes ces comédies américaines décérébrées des années 2000 (d'ailleurs, comment peut-on qualifier ce mouvement Appatow / Will Ferrel / Ben Stiller / etc ? Y a-t-il un nom officiel ?)

Superbad est un peu une relecture d'American Pie, en plus condensé (le film se déroule presque sur une seule journée), en plus concentré (les parents sont inexistants) et en plus trash, dans le vocabulaire principalement. En gros, Superbad est un college movie où nous suivons trois jeunes losers qui tentent d'acheter de l'alcool pour une soirée à laquelle ils sont miraculeusement invités. Tout cela dans le but de coucher avec des filles évidemment. Bien que leur vernis respectif soit assez différent, nos héros sont de vrais frustrés mal dégrossis doublés d'obsédés sexuels. En bref, des ados.

Ne nous voilons pas la face, le film est très gros, très gras, très lourd mais les personnages sont suffisamment bien brossés, et surtout suffisamment attachants, pour qu'on s'intéresse à leurs tribulations. Après l'étonnant Juno qui m'avait très agréablement surpris, je deviens vraiment fan de Michael Cera, incarnation vivante de la coolitude geek.

Et puis, il faut bien l'avouer, toutes ces œuvres du petit garçon de 12 ans qui ne peut s'empêcher de mettre des bites partout dans ses dessins, m'ont fait rire, rire, rire.

Carrie

lundi 29 mars 2010

Carrie au bal du diable
Brian de Palma, 1976


En revoyant Carrie pour la troisième fois, le premier mot qui me vient à l'esprit est "brillant" - comme souvent pour les films de Brian De Palma.

Mais bon, à part ça, que dire d'intéressant, neuf ou personnel qui n'a déjà été dit sur ce chef d'œuvre fantastique (en tous les sens du terme) ? Rien de bien consistant je crois mais bon, essayons de décrire sincèrement, et sans se la raconter, quelques impressions laissées par cet extraordinaire film.

Soulignons encore une fois la faiblesse du titre français : Carrie au bal du diable, n'importe quoi. Quel diable ? Comme dans tous les bons films du genre (je pense notamment à Cronenberg), l'horreur est endogène. Le basculement vient des personnages eux-mêmes, de leurs entrailles, de leurs cerveaux malades ou de leur sexualité dérangée. Pas de diable donc ni de monstre surnaturel ou de deus ex machina. C'est bien plus efficace ainsi.

Je reste complètement stupéfait par la maîtrise totale de LA scène du bal - stupéfaction doublée d'une vraie jouissance cinéphile. La mise en place a certes été longue (trop longue ? c'est ma seule réserve sur ce film) mais en quelques minutes tout s'accélère et c'est un véritable coup de force esthétique et scénaristique qui nous est asséné. On est pour moi proche de la perfection cinématographique. Je ne me remets pas de ce plan-séquence DE OUF MALADE qui voit la caméra se déplacer du couple au seau de sang en passant par tous les protagonistes et rouages de la scène qui s'annonce. Cette maîtrise de l'espace cinématographique me laisse pantois.

Concentrons-nous sur un court extrait voulez-vous (qualité pourrie, désolé).


A ce moment, le piège a fonctionné et le sang de porc s'est déversé sur l'infortunée Carrie. On sent que ses super pouvoirs vont l'aider pour se venger mais on est encore loin de se douter de la manière dont elle va s'en servir et de l'ampleur des dégâts qu'elle va causer. Et c'est à ce moment que De Palma sort de sa poche l'effet qu'il n'a certes pas inventé mais largement remis au goût du jour : le fameux split-screen.

Cette astuce formelle est pour moi tout sauf un gadget dans cette scène. Elle en décuple l'efficacité et l'intensité. D'un côté nous voyons Carrie utilisant, en un terrible coup d'œil, ses pouvoirs télékinétiques, de l'autre nous voyons les conséquences de ses pouvoirs. Et, comble du plaisir, notez à 0'47 la translation de droite à gauche du visage de Carrie. Pour des raisons que je ne maîtrise pas totalement, je suis subjugué par ce déplacement - c'est tellement malin, tellement inédit et tellement justifié. Tout se tient. En 20 secondes, nous passons du college movie au film d'horreur. La maîtrise est totale.

Ah et puis ces éclairages rouges qui s'allument à la fin de l'extrait, que c'est beau. Ah et aussi cette utilisation des notes de la scène de la douche de Psychose, quel bonne idée là encore ! Ah et aussi... mais mais oui, je l'ai déjà dit, cette scène est parfaite et Brian de Palma est un génie.