Twin Peaks - Fire Walk With Me

jeudi 20 août 2009

David Lynch, 1992

Ça fait une semaine que je suis obsédé par Twin Peaks : le film, les 20 épisodes de la série et la bande originale. Je ne me lasserai jamais de répéter à quel point cette œuvre protéiforme de David Lynch, Mark Frost (co-scénariste de la série) et Angelo Badalamenti (compositeur des BO) est fondamentale dans la pop culture des ces vingt dernières années. Si on ne regarde que la série, on se rend compte qu'elle fut la première série télévisuelle moderne, ouvrant une voie, alors inédite, dans laquelle s'engouffreront plus tard tous les Lost, Sopranos, Mad Men et Nip/Tuck. Bien avant tout ce monde-là, David Lynch créait l'événement.

Mais je voudrais particulièrement parler du film qui est un peu mal-aimé, y compris parmi les aficionado de la série. Pour rappel, le film, Twin Peaks - Fire Walk With Me, a été écrit et tourné après la série, ce qui est hautement inhabituel. Ce film réussit le tour de force d'être à la fois un prequel, en racontant les derniers jours de Laura Palmer, et un sequel, en répondant, de manière parfois sibylline, à un certain nombre de questions laissées ouvertes à l'issue des deux saisons de la série.

Je reconnais volontiers que Twin Peaks est un film imparfait. L'intrigue est hachée, l'histoire est parfois incompréhensible pour les non-initiés à la série et la bizarrerie l'emporte trop souvent sur la volonté de tenir le spectateur par la main (contrairement à Mulholland Drive, dans lequel on se sent impliqué jusqu'à l'ultime seconde). Mais Twin Peaks est aussi bourré de scènes absolument stupéfiantes, qui vont au-delà d'un simple plaisir visuel.

Kiefer Sutherland & David Lynch
Chris Isaak, la méga-classe internationale

Je suis par exemple complètement fasciné par les 20 premières minutes qui mettent en scène Chris Isaak (quel sens du casting !) en special agent du FBI, d'une classe folle, jamais égalée, Kiefer Sutherland dans un rôle Docteur-Watsonien à rebours total de la série 24h et David Lynch lui-même en boss du FBI, sourd comme un pot et au discours crypto-énigmatique. L'apparition de la fille aux cheveux rouges à l'aéroport, pour donner des indices, est incroyable, du jamais vu au cinéma pour moi.

La fille en rouge de l'aéroport : une des scènes les plus intrigantes (et des plus WTF) que je connaisse

Mais je voudrais me concentrer sur deux scènes qui me hantent depuis 10 jours. Enfin, il s'agit plutôt d'une seule scène car ces deux instants se suivent. Au milieu du film à peu près, nous suivons nos héroïnes dans deux lieux de nuit distincts : le Roadhouse et le Pink Room.

The Roadhouse
Rappel : Laura Palmer mène une double vie. D'un côté, elle est une fille modèle, college queen, maquée avec le capitaine de l'équipe de foot du lycée, de l'autre, elle fume, boit, se drogue, se prostitue - à l'insu même de sa meilleure amie Donna. Un soir, celle-ci décide de suivre Laura dans une de ses sorties dépravées. La première étape de leur virée est un bar appelé The Roadhouse. On y retrouve Jacques Renault, barman et maquereau, ainsi que deux jeunes gars sans relief qui seront leurs clients pour la nuit.

La scène de l'arrivée des deux filles au Roadhouse est extraordinaire. Laura prend place avec l'assurance désespérée qui la caractérise. Donna semble être un oiseau tombé du nid dans un endroit qui la dépasse. La tension est à son comble : Donna va-t-elle ramener Laura à la raison ou va-t-elle plonger avec elle ? Et, pendant ce temps, sur la scène de ce bar de bikers et de cowboys, joue un groupe en complet décalage avec la clientèle. La chanteuse (Julee Cruise), toute de blanc/bleu éclairée, susurre une chanson d'une beauté à vous tirer des larmes et d'un calme vraiment inquiétant qui annonce, par contraste, les drames à venir.








Angelo Badalamenti - Questions in a World of Blue (feat. Julee Cruise)
Vraiment, il faut avoir un cœur de pierre pour ne pas être bouleversé par cette chanson.

Arrivée de Laura
Arrivée de Donna


The Pink Room
Après avoir ferré leurs deux bûcherons, Laura et Donna les emmènent au Pink Room, endroit terrifiant auprès duquel le Quartier Général (croisement Oberkampf-St Maur), un samedi à 6h du matin, ressemble à un salon de thé Pompadour pour vieilles bigotes rhumatisantes. Mais retournons en Amérique. Donna la novice & Laura l'habituée fument, boivent, prennent des drogues, s'embrassent, embrassent n'importe qui, se déshabillent. On sent que la catastrophe est imminente et il est difficile de ne pas vibrer pour ces deux adorables jeunes filles en espérant qu'elle ne tomberont pas plus bas.

Cet endroit cauchemardesque, saturé de lumière rouge et de stroboscope, est la négation même de toute vie. Nous y retrouverons Jacques Renault, qui, tout en pointant son index sur sa tempe à la manière d'un pistolet, déclare "Guess what? There's no tomorrow... Know why, baby? 'Cause it'll never get here."

Mais, au-delà des dialogues, des personnages et de l'intrigue, cette scène est pour moi absolument obsédante par sa musique. Sur la scène du Pink Room, nous voyons en effet cinq musiciens grimés en cowboys, masqués derrière des lunettes noires, apparemment impassibles, qui jouent la musique la plus sexuelle et lancinante qu'on puisse imaginer. Les filles se déhanchent lascivement sur ces interminables boucles blues-rock et, comme elles, je dois avouer que je suis complètement hypnotisé par cette musique de fin du monde, gavée de guitare reverb', répétitive à souhait et triste à pleurer.








Angelo Badalamenti - The Pink Room
Jamais pour moi une chanson n'avait évoqué avec autant de force la drogue, le désespoir et la dépravation.







Allez, la pêche !

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8 commentaires:

Anonyme a dit…

thanks!

Anonyme a dit…

pour moi, le meilleur de Lynch, celui où il a eu la plus grande liberté ciné (sauf peut être INLAND EMPIRE, mais le côté artisanal emporte moins facilement l'adhésion). Sheryl Lee n'a jamais été connue réellement que pour ce rôle mais quelle actrice, à mon sens quasi inégalable au cinéma ces vingt dernières années, à part peut-être Emily Watson dans Breaking the Waves
tony

Anonyme a dit…

contente d'entendre parler du QG depuis Kathmandou :)

Marivaudage a dit…

Anonnyme 1> My pleasure

Anonnyme 2> Je veux bien croire que Lynch a eu une liberté totale (merci Francis Bouygues) mais Twin Peaks reste pour moi inférieur à Mulholland Dr que je trouve tout aussi barré et frappant mais plus élégant et mieux "casté".

Quant à Inland Empire, c'est effectivement rien de dire qu'il emporte moins facilement l'adhésion ! Je le trouve vraiment (trop) extrême : on a l'impression que Lynch est allé au bout de son 'système'. Arrivera-t-il à faire un autre film après ça ?

Et bizarrement ce n'est pas Sheryl Lee que je préfère dans Twin Peaks. Je suis d'accord qu'elle est fort troublante mais je crois que je préfère Moira Kelly (Donna dans le film) et surtout, surtout ... la PHENOMENALE Sherilyn Fenn qui joue Audrey Horne dans la série. Quelle classe, quelle charge érotique elle porte !
(long soupir)

Anonnyme 3 (qui êtes-vous ?)> Bien le bonjour à Katmandou !

Ed a dit…

Votre note m'a poussé illico à ré-écouter la BO (l'une de celles qui tiennent le mieux debout toutes seules). Je fus moi aussi obsédé par Twin Peaks en son temps (celui de son passage sur feu-La Cinq) et... également laissé sur ma faim à la sortie du film. Sans doute un problème de liaisons entre quelques séquences sidérantes (car entre celles-ci, qu'y avait-il ? impossible de m'en souvenir). Les vingt premières minutes sont proprement incroyables (pourquoi n'a-t-il pas continué là-dessus ?), continuant sur la folle lancée du dernier épisode de la série. Et la séquence du bar est effectivement inouïe : ces bières qui changent de mains sans cesse, la musique qui recouvre les dialogues...
Je vous rejoins également sur le reste, soit Mulholland Dr, Inland Empire et l'incendiaire Sherilyn Fenn.

Anonyme a dit…

un sacré bon " bad trip ". mais la série a un humour que le film n'a pas ( question de durée je suppose ).cette série rend méchament accro ! mais son pouvoir négatif peu abimé . (douzi28.05.70 -

Anonyme a dit…

il faut voir satantango au cinema! 7h de film en continue avec 1 entract peut etre 2!

Marivaudage a dit…

Ed > d'accord à 10000% avec vous. Pourquoi n'a-t-il pas continué dans la même veine que les 20 premières minutes ?

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