Vampyros Lesbos

jeudi 5 mars 2009

Comme souvent chez Franco, une cohorte de titres alternatifs :
Die Erbin des Dracula / El Signo del vampiro / The Heiress of Dracula / The Strange Adventure of Jonathan Harker / Lesbian Vampires

Jess Franco, 1971

Quel titre, quel superbe titre tout de même ! Tout est dans ces deux mots si évocateurs, directs, premier degré, délicieusement outranciers et tellement prometteurs : une vraie vision d'auteur doublée d'un réjouissant bras d'honneur au bon goût.

Comme avec Mario Bava, la persévérance paie pour Jess Franco : je suis vraiment ravi d'avoir vu Vampyros Lesbos, qui s'avère largement supérieur à La Fille de Dracula et Les Expériences Erotiques de Frankenstein. Contrairement à ces deux derniers films, Franco n'a pas délaissé dans Vampyros Lesbos le scénario et le jeu d'acteur. En revanche, il démontre une fois de plus, par des images toujours étonnantes, sa vision personnelle et poétique du sympathique monde du vampirisme.


Pitch : la trame de l'histoire est assez peu éloignée du mythe original tel que décrit par Bram Stoker, à ceci près que Vampyros Lesbos se déroule à Istanbul de nos jours (enfin, en 1970) et que la plupart des rôles masculins sont tenus ici par des créatures aux penchants lesbiens prononcés. Linda est une jeune et blonde juriste, peu heureuse en ménage, troublée par des rêves inavouables. Elle est envoyée chez la comtesse Carody, qui habite une somptueuse villa sur une petite île du Bosphore, pour y régler la succession du grand-père de la comtesse, un certain Comte Dracula. Le soir de son arrivée, notre Linda est envoûtée, puis droguée, puis vampirisée par la comtesse, qui s'avère être aussi assoiffée de sexe que de sang. Le lendemain, Linda se réveille, sans savoir si tout cela était rêvé ou réel, dans une clinique psychiatrique tenu par le Dr Seward qui a l'air d'en connaître un rayon sur le vampirisme. Celui-ci va alors se lancer sur la piste de cette diabolique comtesse.

Dans cette interprétation du mythe de Dracula, l'austère comte des Carpathes est incarnée par une sympathique bimbo 70s qui se prélasse sur les plages du Bosphore avec ses grosses lunettes de mouche.

Comme vous pouvez le lire dans le pitch ci-dessus, l'histoire est pour une fois assez cohérente et l'on ne passe pas son temps à se demander "C'est qui elle ?", "C'est un flashback ça ?" ou "Qu'est-il devenu le moustachu de la scène d'avant ?". Comme dit plus haut, tout cela est bien fidèle au livre original et l'on retrouve les personnages principaux : Harker est remplacé par Linda, le comte Dracula par la comtesse Carody, Van Helsing par Seward et on retrouve même Reinfield, le schizophrène possédé à distance par Dracula, celui qui était joué par Tom Waits dans la version de Coppola et qui apparaît ici sous les traits de la belle Heidrun Kussin.

Sur cette base solide, Jess Franco nous montre des images à la symbolique forte, d'une beauté surréaliste inoubliable, et d'un érotisme qui ne bascule jamais dans la vulgarité ou la complaisance (ou alors si peu). Un certain nombre de thématiques se dégagent :

Écrans
J'ai tout d'abord été frappé par un motif visuel récurrent dans Vampyros Lesbos : les personnages nous sont souvent montrés derrière un premier plan plus ou moins translucide. Ici, à travers les barreaux d'une rampe d'escalier, là derrière une vitre, un voile ou encore un filet de pêche (!). J'avoue que je ne suis pas sûr de bien comprendre la signification de ces écrans entre les personnages et le spectateur. Peut-être Jess Franco cherche-t-il ainsi à illustrer à quel point ses personnages sont enfermés dans le film, comme des rats de laboratoire sur lesquels il se livre à toutes sortes d'expériences. Je ne sais pas. Quoi qu'il en soit, ce parti-pris de mise en scène est très réussi et donne une vraie identité visuelle au film.
Linda derrière une porte-fenêtre
L'homme de main de la comtesse derrière un filet de pêche

Linda et son infortuné copain derrière une fenêtre
Linda derrière une baie vitrée


Un rayon de Soledad
Il est évidemment très difficile de rester insensible à la beauté troublante de Soledad Mirando, qui joue la comtesse-vampire (et qui est créditée ici sous le nom de Susann Korda). Elle fut la muse de Jess Franco jusqu'à sa tragique disparition en 1971. Elle fait partie pour moi de ces actrices qui semblent à la fois habitées par des forces surnaturelles et détachées du monde réel. Dans Vampyros Lesbos, elle irradie chaque plan dans lequel elle apparaît par son regard magnétique, sa plastique parfaite et son jeu tout en retenue. Par comparaison, la blonde Linda (Ewa Strömberg), pourtant assez attachante, paraît presque un peu fade et trop réelle.

On sent la fascination de Jess Franco pour sa muse dans chaque plan dans lequel elle apparaît





Et puis aussi ...
Les deux scènes de danse du cabaret sont également très marquantes : on y voit Soledad Mirando, un chandelier à la main, enlever ses vêtements pour les passer sur une femme-automate aux mouvements mécaniques (et qui me rappellent un peu la créature automate des Contes d'Hoffman). Encore une fois, ces images parlent à notre imaginaire (au mien en tous cas) et vont bien au-delà d'une simple danse ou d'un banal striptease.
La comtesse et la femme-automate ...
... qui me rappelle vraiment l'Olympia de l'opéra d'Offenbach

On notera également ces gros plans récurrents sur des traînées de sang coulant le long des baies vitrées de la villa de la comtesse. Le sang est si irréel, et la caméra si proche de ces coulées que ces plans en deviennent des tableaux abstraits de toute beauté.
Une traînée de sang sur une vitre ...
... qui nous donne un tableau de Mirò

Au-delà de ces plans fétichistes et si originaux, Jess Franco sait également remarquablement construire des plans "normaux", dans lesquels il parvient à nous transmettre un vrai sentiment d'angoisse par des contre-plongées, des grands angles ou des éclairages audacieux. On accuse souvent Jess Franco d'abuser des zooms, et limite de ne savoir faire que ça. Je m'insurge totalement contre cette accusation. C'est faux ! Tout cela n'est qu'une rumeur colportée par de vilaines gens qui ont dû lire ça chez un journaliste qui se croit malin et qui n'a sûrement pas vraiment regardé les films de Franco. A la 2e vision de Vampyros Lesbos, j'ai bien fait attention et les zooms en question sont plutôt rares et toujours utilisés à bon escient. Encore une contre-vérité qu'il va falloir combattre !

Et enfin, je ne compte plus les plans superbement éclairés, les compositions picturales qui laissent rêveur ou encore ces sempiternels gros plans ensanglantés.
Franco a bien révisé son petit Vertigo illustré !
Contre-plongée + grand angle = plan angoissant

De beaux éclairages rouges à la Bava
Notez ces ombres au mur illustrant la schizophrénie de cette patiente

Un dernier mot sur le son. Sur une bande originale très jazzy, presque plus connue que le film lui-même paraît-il (et qui me ferait presque aimer le jazz), se superpose par intermittence une espèce de voix de speaker radio qui débite des paroles incompréhensibles en allemand et qui fait presque peur par son incongruité. Qui parle ainsi et que peut-il bien dire ? On entend ces sons dès le premier plan du film et je vous garantis que ça crée instantanément une ambiance très étrange.

Bref, Vampyros Lesbos est un poème sensoriel fascinant, un festin surréaliste auquel Jess Franco convoque Bram Stoker, André Breton et Paul Delvaux. A voir, vraiment.

Edit : Réjouissez-vous, j'ai réussi à mettre la main sur la BO, sobrement intitulée Vampyros Lesbos: Sexadelic Dance Party et que j'écoute en boucle depuis 2 heures. Je vous propose le titre final, Countdown to Nowhere, interprétée par le groupe Vampire's Sound Incorporation, groupe créé pour l'occasion apparemment. Du pur easy-listening bien 70s et fort agréable pour les oreilles, et qui contient ces voix en allemand si inquiétantes dont je parlais ci-dessus.







Vampire's Sound Incorporation - Countdown to Nowhere

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