Du côté d'Orouët

lundi 29 décembre 2008

Du côté d'Orouët - Jacques RozierJacques Rozier, 1969

Pitch : Joëlle (Danièle Croisy), Karine (Françoise Guégan) et Caroline (Caroline Cartier) sont 3 jeunes filles qui passent leurs vacances dans une villa de bord de mer, du côté des longues plages de St-Gilles-Croix-de-Vie. Les jours s'égrènent joyeusement, entre baignades, bronzage, pêche à la crevette et ballades à vélo du côté de la petite ville d'Orouët. L'insouciance est reine. Les filles sont rejointes par Gilbert (Bernard Menez), qui est à la ville le chef de service de Joëlle et qui s'incruste petit à petit dans cette joyeuse communauté. Les filles semblent accepter Gilbert mais en font vite leur souffre-douleur, abusant de sa gentillesse, se moquant de sa maladresse. Lui s'en accommode car il est amoureux de Joëlle - bien qu'elle le rejette. Plus tard, un playboy, un vrai avec un beau voilier, va venir se mêler à ce petit groupe et jouer les beaux parleurs auprès des filles, au grand désespoir de Gilbert. Les vacances vont alors prendre un tour plus grave.

Bon, on résume : des jeunes filles en fleur, des vacances, une grande maison ouverte que vient caresser les vagues ... difficile pour moi de ne pas aimer un film avec un tel pitch. Servi en outre par de très belles images et des actrices époustouflantes, Du côté d'Orouët est un vrai choc. Visuel, sensuel et émotionnel. Un film dont la liberté de ton n'a d'égale que la justesse de l'analyse psychologique. Même après 4 visions (en autant de journées !), j'ai encore du mal à comprendre pourquoi ce film est un tel chef d'oeuvre, pourquoi c'est le plus beau film vu depuis des lustres et assurément mon film de l'année 2008. Essayons toutefois de poser quelques éléments.

Du côté d'Orouët - Danièle CroisyAu tout premier abord, on note un certain nombre de similitudes formelles avec les films estivaux d'Eric Rohmer que j'aime tant (Conte d'été, Pauline à la plage, Le genou de Claire, qui sont tous les trois parmi mes préférés). Le récit est ponctué par des intertitres qui précisent la date. Le contexte et les personnages importent plus que l'action, qui est quasiment inexistante. Mais à la différence de Rohmer, nous ne sommes pas, formellement, dans une austère contemplation de nos héroïnes. Ici, les cadrages sont serrés, les plans assez courts, le montage rapide et sûr. De plus, il ne s'agit pas exactement de marivaudage. Les dialogues peu littéraires et très réalistes ne traitent pas des passions amoureuses mais plutôt des préoccupations futiles et terre-à-terre de ces jeunes filles : qu'est-ce qu'on mange ? qu'est-ce qu'on fait aujourd'hui ? c'est quoi ton régime minceur ?


En fait, ce film décrit tout simplement la vie, avec une justesse qui en devient troublante. En particulier, ce film témoigne d'un vrai amour pour la gente féminine. Tout ce qui différencie généralement les filles des garçons (l'absence de concurrence, la légèreté et la vivacité naturelles, l'espièglerie) est racontée dans ce film avec une telle acuité qu'on ne peut qu'être profondément touché. Toutes ces scènes (dont mes préférés sont la traversée sur le bateau du passeur, la bassine d'anguilles renversée, la lecture de la lettre de Gilbert, l'arrivée au "Casino d'Orouëëëët !"), bref, toutes les scènes du film sont certes vivantes et réalistes mais elles sont filmés avec un vrai talent de cinéaste, un vrai sens de la narration et un vrai point de vue d'auteur qui font qu'on ne tombe jamais dans les travers du documentaire ou du naturalisme.

Du côté d'OrouëtLes vacances !

Du côté d'Orouët est un des films de vacances les plus réussis que je connaisse. Jacques Rozier "capte" des moments et sait rendre avec beaucoup de justesse cette atmosphère de doux abandon de soi, où les rencontres impossibles en temps normal deviennent possibles ("c'est permis, c'est les vacances", nous dit la sagesse populaire), où chaque moment mérite d'être saisi car il est unique, où rien n'est grave, où le temps n'est plus compté de manière habituelle et paraît même se dilater.

Du côté d'Orouët - Caroline CartierA l'image de nos jolies vacancières, Du côté d'Orouët est en effet un film qui prend son temps (2h30). En étirant toutes ces scènes de vie, en laissant vivre ses personnages, Jacques Rozier leur donne beaucoup d'épaisseur. Au début, on ne distingue pas vraiment ces trois filles les unes des autres : on ne voit que trois furies, espiègles, hystériques, vivantes et dont les fous rires sont si communicatifs. Je crois d'ailleurs que j'ai passé la première heure du film avec un grand sourire scotché sur le visage (quel autre film peut en dire autant ?), charmé par la malice de ces filles, riant aux même blagues idiotes qu'elles. Au fur et à mesure que l'histoire avance, nos trois héroïnes, ainsi que Bernard Menez, prennent du relief et de la gravité. Karine est l'extravertie : légère, drôle, vivace et douée d'une répartie époustouflante qui cache une envie maladive de séduire. Joëlle est la rohmérienne de la bande, à la diction un peu irréelle, complexée par ses kilos en trop, un peu en retrait mais animée d'une envie incroyable de rire et de vivre. Et Caroline (Caroline Cartier, souvenez-vous, c'est aussi la vampire nue du film La Vampire Nue justement, de Jean Rollin) paraît la plus équilibrée, la plus naturelle, accommodante, gentille et nonchalante mais qui versera subitement une larme lors du départ précipité de Bernard Menez.

Du côté d'Orouët - Caroline CartierL'insouciance laisse en effet place à la mélancolie vers la fin du film, ce qui permet d'affranchir Jacques Rozier de toute suspicion de naïveté béate. Le film en devient encore plus bouleversant. J'ai été particulièrement ému par la tirade finale de Gilbert / Bernard Menez, dont il faut d'ailleurs souligner l'incroyable performance, pour son tout premier film, dans un rôle peu évident de souffre-douleur enthousiaste doublé d'un amoureux transi. Je suis d'ailleurs prêt à me battre et à descendre dans la rue pour qu'on reconnaisse enfin tout le talent de Bernard Menez, enfermé de manière totalement injuste dans une image de bouffon abonné aux pires navets et aux chansons pourries. Bernard Menez est tout simplement un immense acteur, d'une subtilité et d'une sensibilité rarissimes. Qu'on se le dise. Bref, vers la fin, lassé qu'on se moque de lui et qu'on abuse de sa gentillesse, et cédant à un rare coup de sang (la seule scène violente du film : il casse deux assiettes !), Gilbert confie son amertume à Karine avec une humanité qui donne les larmes aux yeux. Il finit par quitter les lieux. Apprenant son départ, Caroline se met inexplicablement à pleurer et murmure "C'est la fin des vacances".

Du côté d'Orouët - Bernard Menez - Françoise GuéganBernard Menez finit par vider son sac et avouer son amertume.

Oui, Jacques Rozier souligne ainsi la fin d'une certaine utopie hippie, celle de Mai 68, et le retour à la dure réalité de la nature humaine et de la société contemporaine. En ce sens, et par bien d'autres aspects (la longueur du film, l'étirement des séquences, la liberté narrative, l'absence totale d'"action"), Du côté d'Orouët est très proche du chef-d'œuvre désenchanté de cette époque : La Maman et la Putain de Jean Eustache, autre cinéaste en marge de la Nouvelle Vague et revenu des idéaux soixante-huitards.

Je me relis et me rends compte que ce que j'écris n'effleure qu'une infime partie des innombrables richesses de ce film. Je n'ai pas évoqué les jeux de couleurs avec les costumes des filles, la composition magistrale des plans qui utilisent si bien les différents étages de la villa, l'étonnante scène où Karine parle à la caméra, la construction ahurissante de la séquence où Bernard Menez court après les filles qui courent après le ballon, la scène de la sortie en en dériveur (la scène de bateau à voile la plus belle, et la plus réaliste, que j'ai jamais vue) etc etc .... et tant d'autres émotions fortes, difficiles à comprendre et à décrire, que la vision de ce film suscite. On pourrait écrire des volumes entiers sur Du côté d'Orouët.

Mais comme dit Bernard Menez dans un supplément du DVD (édité récemment aux éditions Potemkine, dans un indispensable coffret), les histoires de Jacques Rozier sont inénarrables. Il faut les voir. Amis lecteurs, courez, courez donc vous procurer ce film, profitez de ces heures de bonheur ensoleillé et laissez-vous envoûter par la beauté gracile de ce film incomparable. Allez, vous aussi, vous échapper du côté d'Orouët.

Et quelques images de plus ...

Du côté d'Orouët - Caroline Cartier - Françoise Guégan - Danièle CroisyL'arrivée des filles sur le bateau du passeur. De gauche à droite : Caroline, Karine et Joëlle.


Du côté d'OrouëtRoméo et ses deux Juliettes dans un plan admirablement composé.


Du côté d'Orouët - Danièle CroisyDes jeux de regards de moins en moins innocents : le début de la jalousie, la fin des vacances.


Du côté d'Orouët - Caroline Cartier - Françoise Guégan - Danièle CroisyLes adorables Caroline, Karine et Joëlle en T-Shirt jaune, sous une serviette jaune, devant une cabine jaune.

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1 commentaires:

Anonyme a dit…

film magnifique!

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